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CRIMINOCONFLIT
22 mars 2013

Criminoconflit-5: le devoir du souverain

« Cyrnos, notre ville est en travail, et je crains qu’elle n’enfante un redresseur de nos déplorables outrances (hybris) ; car si nos concitoyens font encore preuve de sagesse (saôphronès), les chefs, eux, sont engagés sur une mauvaise pente. Jamais jusqu’à ce jour, des gens de bien n’ont causé la perte d’une ville, mais celle où, se complaisent dans la démesure (hybrisein), les méchants corrompent le peuple et rendent des sentences en faveur des criminels afin d’en tirer profit et puissance pour eux-mêmes, point d’espoir qu’une telle cité garde longtemps son calme (atrémêsestai), même si elle repose aujourd’hui dans une grande tranquillité (pollôn en hésykein), dès lors que les méchants ont pris goût à ces bénéfices, présages de malheur public ; car il n’en sort que séditions (staseis), massacres entre citoyens, monarchies. Puissent ces excès ne jamais être la loi de notre ville »[1]

Il y a belle lurette que nous tergiversons sur la plus-value de la démocratie en Afrique. D’un point de vue pragmatique, c’est-à-dire au sens du philosophe Anglais John Stuart Mills, n’y a-t-il pas plus de maux que de biens pendus à la gestion des cités-Etats démocratiques ? Les exemples d’Etats moribonds, d’Etats sous régime curatelle, tels que la Somalie, la Guinée Bissau, le RDC, le Soudan etc., et aujourd’hui le Mali, ne permettent-ils pas de relativiser le concept de démocratie en Afrique ?

La question cruciale et vitale de la sécurité (asphaleia) de l’Etat nous contraint de porter un nouveau regard sur les institutions politiques dans les Etats du Sahel. Relativement au Mali, il saute aux yeux de quiconque doué d’un grain de lucidité, perçoit clairement que la junte militaire au Mali (le Mali de Sanogo) donne une piètre image de sa compétence à régler la situation. D’un mot, cette forme d’armée, ou de soldats confiscateurs du pouvoir démocratique, a échoué d’un point de vue sécuritaire. La meilleure des preuves est l’échec des négociations en vue d’un retour à l’ordre constitutionnel normal.

Nous estimons dans une approche hobbesienne que face aux nouvelles réalités sécuritaires, l’Etat doit être plus fort face au nouveau défi que représente le terrorisme islamiste. Notre thèse, est que, face aux islamistes terroristes, les Etats du Sahel, ne peuvent plus vivre sous la bannière  de pactes, ou contrats artificiels de démocratie. La solidification et la fortification de la démocratie sous l’angle sécuritaire ont bien été établies par le philosophe Anglais Thomas Hobbes. D’où l’acuité de son Léviathan, d’un point de la fondation et de la conservation de l’Etat de droit, et de la tranquillité publique effective.

L’intérêt supérieur de l’Etat n’est pas de la sophistique, ni de la poésie pour séduire le peuple. Le vrai Chef, le Prince doit assumer son rôle par-delà le bien et le mal pour employer les mots de Nietzsche. Autrement dit, en démocratie, le chef de l’Etat se doit d’être hautement légitime et souverain au sens du Léviathan de Thomas Hobbes, qui œuvrera pour le bien commun, et pour la sécurité collective.

Ce que nous disons s’accorde avec ce que démontrent les faits. Les cas Maliens, de Guinée Bissau, et de la Somalie, permettent d’inférer de la nécessité et de l’urgence de ré-acclimater la démocratie et sa praxis à l’aune des nouvelles réalités criminelles et terroristiques.

Au regard de la fuite lâche du président ATT, force est d’admettre que la démocratie en Afrique n’a plus besoin de dirigeants poussifs et couards, mais de Princes courageux au service de l’intérêt de l’Etat et de sa sécurité.

Un chef d’Etat digne de ce nom ne fuit pas face à l’ennemi. Au temps les Grecs, ATT (Amadou Toumani Touré) méritait la sanction de la ciguë. Le fait de fuir, a montré que l’Etat fut abandonné aux ennemis. D’où aujourd’hui la mainmise des islamistes et des rebelles Touaregs sur la tranquillité publique de l’Etat. Aussi longtemps que rebelles Touaregs et islamistes terroristes se croient plus puissants que l’armée manchote malienne, et que la CEDEAO peine à intervenir en calculant par anticipation les dégâts collatéraux, le Mali risquerait de se retrouver dans une situation de somalisation. Pour nous, il est manifeste que l’abandon de l’Etat a profité aux criminels djihadistes, aux rebelles touaregs, et de plus en plus à la Junte militaire qui veut vaille que vaille usurper le pouvoir au Mali.

On ne comprend pas par ailleurs cette peur panique du peuple malien qui par le passé a renversé le dictateur Moussa Traoré, traîne aujourd’hui les pattes pour « foutre » la Junte militaire dehors et donner la légitimité à un civil. De fil en aiguille, la situation risquerait de se transformer en autocratie militaire. Et comme dirait Thomas Hobbes, on risquerait de tomber dans une conditio (état) de guerre permanente, de règlements de comptes. D’où notre préoccupation : pourquoi les dirigeants africains échouent comme dans une espèce d’éternel retour, à exercer démocratiquement la puissance du Léviathan face aux menaces de l’Etat ?

D’Aristote à Thomas Hobbes, nous retrouvons des causes internes de la dissolution de l’Etat (ou de la polis). Au-delà de la guerre externe (Athènes contre Sparte par exemple), nous avons la guerre interne, liée aux rivalités [staseis, ou conflits civiques] entre factions (partis). Aujourd’hui nous dirons partant de cette double causalité, qu’une autre cause ‘‘adventice’’ s’y greffe : des étrangers_ comme diraient les Grecs vis-à-vis des Barbares : Perses, et Asiatiques _, sous la bannière d’un faux Islam, [car le Dieu de l’Islam appartient à tous les musulmans qu’ils soient noirs, jaunes, blancs, etc.], se revendiquent exclusivement le droit d’imposer de nouvelles conduites, et de nouvelles lois aux Etats musulmans du Sahel, en lieu et place des lois républicaines. Dans la perspective de Thomas Hobbes on dira à juste titre qu’il y a « hostilité » et « méprise » des lois établies, i.e des loisdémocratiques et de la souveraineté nationale. Il n’est pas besoin d’aller en classe de terminale pour comprendre que ces islamistes, sont ignares, et ne savent pas ce qu’est la véritable souveraineté au sens de Jean Jacques Rousseau, ou de Montesquieu. Ils ont manifestement une grave méconnaissance De l’Esprit des Lois.

La tâche (task) urgente des intellectuels, des politiciens, consistera à réexpliquer aux populations, la quintessence de l’Islam, avant que les islamistes arabes et noirs n’endoctrinent les populations ; car à l’interne aussi nous avons des chefs religieux [des marabouts, ou des Cheikhs], tapis dans l’ombre qui sont vénérés tels des dieux par leurs fidèles, ce qui est abominable religieusement, car on ne vénère pas islamiquement parlant un humain comme un dieu, a fortiori l’adorer.

Aussi est-ce raison pour laquelle face à des fauteurs de troubles, Thomas Hobbes recommande l’usage de la force (coercitio) par le Prince. La théorie de la puissance du Léviathan (le Prince) trouve aujourd’hui toute son acuité et sa quintessence face à l’invasion des islamistes au Sahel. Mais force est de l’avouer, c’est derechef la démocratie dans sa praxis, qui a porté au pouvoir des dirigeants lascars, cupides, vénaux, qui se soucient plus de leurs boubous majestueux, de construire des belles villas, de copuler à gauche et droite, bref de jouir des privilèges de l’Etat que de s’occuper de l’essentiel : la protection des citoyens, la sécurité de l’Etat, la prospérité. Hobbes ne disait-il pas que ce peuple, cette assemblée s’est dépossédée de ses droits naturels pour les concéder à un seul chef, au Prince, à la condition qu’il lui garantisse la protection et la sécurité (asphaleia) ?

Lorsque des citoyens, et de surcroît des étrangers attentent à la sécurité de l’Etat, à sa souveraineté, à la paix collective, aux intérêts vitaux de l’Etat, le gouvernement qu’il soit monarchique, ou démocratique a la mission (le devoir) de châtier par tous les moyens dont il dispose, les dits agresseurs, ou les fouteurs de troubles à l’ordre publique, à la souveraineté de l’Etat.

Il ne peut pas y avoir dans un Etat (une République) deux ou plusieurs pouvoirs comme au Mali, et en Somalie par exemples. Au nom du sumphéron (l’intérêt général), le gouvernement, ou le Prince, doit préserver, l’unité de l’Etat, l’ordre, et la tranquillité publique. D’un mot garantir physiquement la sécurité. Le Prince, ou le chef de l’Etat doit user de la contrainte (coercitio) pour ramener les citoyens égarés (les rebelles Touaregs  par exemple), et faire la guerre contre les ennemis (AQMI et ses dérivés). Politiquement et sécuritairement, le Romain Jules César ne pourrait-il pas être un excellent modèle de Prince à imiter pour le futur dirigeant africain qui veut durer au pouvoir face à la menace terroriste ?

Selon Thomas Hobbes, aussi longtemps que les lois de la République sont foulées aux pieds par des étrangers ou par des citoyens, il y a crime de lèse-majesté. Et dès lors qu’il y a crime, il s’ensuivra des châtiments.

Au regard de la chute passive du président malien ATT, et du retour en puissance de la rébellion du MNLA et de ses acolytes : AQMI, Ansar Dine, force est d’admettre que le concept d’« officio », ou d’« officium » (le devoir) du dirigeant est mal exercé dans le cadre de la gouvernance de l’Etat en Afrique. On est en effet sidéré d’observer que durant des années, certains Etats africains piétinent sur place, peinent à fonder un système pérenne de bonne gouvernance. Platon déjà a exclu le philosophe de cette prérogative, car le gouvernement des philosophes relève de la cité idéale. Mais n’est-il pas possible de recorriger Platon ? A quoi sert-il dans une optique hobbesienne d’avoir toujours à la tête des Etats en Afrique des dirigeants incompétents pragmatiquement et intellectuellement?

La réponse qui coule de source est qu’aucun dirigeant ne s’inspire d’un modèle d’homme politique efficace, d’un grand homme politique, ou reconnu comme stratège : dans la Grèce nous avons une foison de modèles : Solon, Dracon, Thémistocle, Périclès, etc., et d’autres plus ambitieux : Alexandre le Grand, Jules Cesare, etc.

En Afrique, notamment dans les Etats sahéliens, gouverner, signifie : passer du bon temps, se relaxer dans le luxe du palais entouré d’amis et de flagorneurs. C’est ce qui traduit bien leur comportement : dès qu’il y a un coup d’Etat même squelettique, le dirigeant et ses amis sont prompts à détaler. Ce que nous disons participe de l’expérience politique la plus élémentaire : la chute de Mobutu au Zaïre, de Siad Barré en Somalie, et bien d’autres. Or Thomas Hobbes enseigne si bien que : « Les devoirs du souverain, qu’il s’agisse d’un monarque ou d’une assemblée, sont clairement indiqués par la fin de l’institution, qui est la sauvegarde du peuple, que le souverain est tenu, par la loi de nature, d’assurer autant que cela est en son pouvoir et dont il doit rendre compte à Dieu, et à Dieu seul. J’englobe dans cette expression de sauvegarde du peuple non seulement la vie des citoyens, mais aussi les agréments de la vie dont cela implique dommage ou danger pour la cité »[2]. En d’autres termes, l’exercice de cet « officio » a pour fin ultime d’annihiler les calamités des troubles, des guerres civiles, des rébellions, et aujourd’hui du terrorisme.

En laissant le pouvoir démocratique à une minorité de citoyens : la junte militaire (cas du Mali), au sens de Hobbes, l’ex chef de l’Etat (ATT) a trahi, mieux a manqué à son devoir (officio), alors que les lois lui accordaient pleins pouvoirs sur ses ennemis, et contre les brandons de discordes, car souligne Hobbes : « Il est contraire à son devoir de s’assujettir aux lois civiles, de renoncer au pouvoir de juger, de déclarer la guerre et de faire la paix, d’entretenir une armée quand et comment il le jugera bon, de choisir les ministres préposés à la paix et à la guerre, ainsi qu’au pouvoir de décider quelles doctrines sont favorables à son devoir et au bien public »[3].

De cette pensée de Hobbes, nous tirons la thèse qu’aussi longtemps que l’Etat démocratique n’est pas fort, il s’écroule. Ce qui est arrivé de manière sournoise au Mali, peut-il arriver aux autres Etats de la sous région ?

Si notre analyse est juste, _ loin d’être mathématique  juste _, par négligence, l’impact est possible dans tous les Etats du Sahel. Car il y a une grosse part de musulmans dans ces régions qui sont démunis de tout, et AQMI et ses dérivés savent user de stratagèmes pour les rallier à leur cause criminelle, moyennant non pas le paradis, mais des billets de banque.

Si les autorités des Etats de ces régions n’anticipent pas la menace de cette velléité de domination djihadiste, le risque serait grave de voir toute la région du Sahel aux mains des islamistes. Depuis notre ouvrage : La dialectique d’une insécurité, nous avons expliqué ce déplacement criminel d’Al-Qaïda, qui ressemble à la marche de la chenille, depuis la Corne de l’Afrique jusqu’au Sahel. Le temps a donné raison en moins de deux ans à notre inquiétude-profiler.

Pour plier cette réflexion, il faut seulement retenir que du point de la sécurité publique qui est notre credo, il est aujourd’hui nécessaire que les dirigeants africains connaissent leurs « officiers loyaux » ; de ne confier l’armée qu’à des officiers républicains et vertueux, i.e des citoyens sérieux qui respectent leur République, et non cette junte malienne qui donne une piètre image du Mali. La pensée de Hobbes est donc toujours d’actualité : « En effet, celui qui délaisse les moyens délaisse la fin »[4].

 

Youssouf. M. Maïga
Criminophilosophe

[1] V. 39-52, trad. Carrière modifiée, in Paul Demont, La Cité grecque archaïque et classique et l’idéal de tranquillité, Les Belles Lettres, 2009, 2e tirage, p. 50.

[2] Thomas Hobbes, Léviathan, trad. du Latin par François Tricaud et Martine Pécharman, intro. Par Martine Pécharman, J. Vrin, Dalloz, Paris, p. 243.

[3] Léviathan, op.cit, p.243-244. Nous soulignons.

[4] Léviathan, op.cit, p. 243.

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